La parenthèse se FERME
Finalement après avoir vagabondé sur différents continents, on avait juste besoin de cela : s'ancrer sur cette ferme maraîchère au contact de la terre et des animaux. Chantale et Jocelyn produisent de merveilleux légumes de manière écologique dans Les Jardins au pas de l'âne à Stratford (dans les Cantons de l'est au Québec). Ils se font notamment aider par deux ânes (Koka et Kamel) et une tripotée de volontaires qui répondent présents tout au long de l'année. Nombreux sont ceux qui, intéressés par une démarche plus respectueuse de notre belle terre, sont prêts à se remonter les manches durant quelques semaines. Nous en faisons donc partis et après une côte à 10% (et oui, les p'tits coins de Paradis ça se mérite), nous nous sommes joints à l'équipe une première fois fin septembre, période de récolte des légumes tardifs et une seconde fois de fin octobre à décembre, saison des marchés de noël et du bois de chauffage.
Autant vous dire tout de suite qu'à la ferme, on ne s'ennuie jamais. Nos journées sont rythmées par une nouvelle routine qui nous déconnecte peu à peu des autres réalités qui nous entourent. Nous voilà dans une bulle, bien différente de celle de notre voyage à vélo mais tout aussi plaisante. Nous restons toutefois dans l'essentiel, le vital : bien dormir, se frotter à la magie de la nature (wahouu, une minuscule graine a le pouvoir de se transformer en une multitude de légumes variés !), cuisiner pour bien manger, se dépenser pour bien dormir et rebelotte... Le tout dans l'enthousiasme et la satisfaction de contribuer à l'existence d'un projet qui a du sens.
Tous les matins, nous commençons par prendre soin des animaux de la ferme (ânes, poules, brebis). Nous partons vaillamment pelle et balai en main à la chasse aux crottins. Fenouil (ou Scatouille pour les intimes), le chien contre-maître nous surveille avec attention perché au sommet de la montagne de fumier. Ces déjections que nous considérons comme bonnes à être compostées, sont un vrai délice pour ses babines alléchées. Bref, tout est question de relativité.
Foin à volonté pour les deux boules de laine : Domino et Chou-fleur. Ces jeunes brebis fourniront du lait l'an prochain à la ferme, avec au programme fromage, beurre et pourquoi pas crème glacée ? En attendant la venue de leurs futurs agneaux, elles sont bien chouchoutées.
Il y a du grabuge dans le poulailler ! Les poules marron s'en prennent aux blanches en période de mue : les plumes volent dans tous les sens laissant découvrir une chair rouge qui rend folles les volailles. A la vue de cette couleur sang, elles seraient capables de s'entre-tuer, mais c'est sans compter sur la solidarité des Chantecler (les blanches) qui organisent un camp de résistance au fond du poulailler et se serrent les ailes. L'union fait la force. Nous récoltons quotidiennement les oeufs aux différentes teintes afin de réaliser de nombreux gâteaux qui ne font d'ailleurs jamais long feu. En moyenne, une poule pond un oeuf par jour. C'est notamment le cas de Marie-Odile reconnaissable à sa longue crête tombant sur le côté, qui pond chaque jour un oeuf blanc immaculé.
Quel plaisir de participer à la récolte des beaux légumes de fin de saison, souvent les légumes racines (céleri-rave, radis, rutabaga...) et feuilles (poireau, fenouil, salade, persil, chou...). Nous sommes bien accompagnés d'Héloïse, une suissesse herculéenne pleine d'humour et excellente cuisinière ; ainsi que de deux québécoises Julie et Caroline étudiantes en horticulture. Cette récolte fructueuse s'accompagne de rencontres inattendues avec des légumes aux drôles de faciès. Nous apprenons à coiffer les fenouils et les poireaux, afin qu'ils soient de toute beauté pour les marchés, à cueillir le basilic avant les gelées, à attendre que le soleil sèche la rosée déposée sur les plants de menthe avant de cueillir le bout des tiges...
- 1,5 tonnes d'oignons à mettre en sac en une journée, histoire de nous mettre en jambe -
- We did it ;) !!! -
- Un radis noir bipède -
- Ci-dessus à droite : la tétragone, surnommée "Epinard de Nouvelle-Zélande". Ces feuilles charnues sont comestibles. -
- Un chou d'origine chinoise nommé Bok Choy ; délicieux tout juste revenu dans un wok avec une sauce soja/cacahuète -
La déshydratation des légumes permet de les conserver sous une autre forme que celle de la stérilisation en bocal. Hachés menu, nous les étalons sur les plateaux du déshydrateur où ils vont être séchés à environ 40°C pendant plusieurs heures (cette basse température permet de conserver les valeurs nutritives des aliments). Une fois l'eau totalement évaporée des légumes, ils peuvent être conservés en toute tranquillité pour apporter leur note estivale en hiver !
Grâce à la traction animale, la terre est ameublie et débarrassée des herbes folles tout en douceur. L'outil utilisé s'appelle le tri-socs, ici pas question de labour. On brasse la terre sans la retourner, ainsi les micro-organismes présents dans la première couche terrestre ne sont pas enfouis dans une strate plus profonde et restent alors actifs.
- Repiquage de plants d'asperge -
- Koka au travail -
- Récolte des pommes de terre : 1,5 tonnes aussi !!! Quel sol fertile ! -
- C'est la fin des haricots ! Arrachage de plants dans la bonne humeur ! -
- Une fois la terre débarassée de ses plants, on la prépare pour la saison prochaine -
- Construction d'une clôture pour les brebis -
Le volontariat, c'est aussi des moments de détente et de partage du quotidien. On explore un peu les environs, on câline les différents chats de la maison, on s'affaire en cuisine, on gratouille l'intérieur des oreilles pelucheuses des ânes, on prend des photos, on joue aux cartes, on fait le ménage, on part courir et on n'oublie pas le brossage collectif de chicots !
Les premières neiges arrivent début novembre, l'équipe change, les tâches varient... Kevin, adepte des petits bonheurs simples, se lance dans la confection de ses premiers croissants (une réussite encourageante) ! Jonathan, le morvandiau en paletot, nous montre comment fendre du bois de chauffage. Marine et Joris, les bretons-pâtissiers, nous régalent de petits gâteaux au beurre salé divins. Ils se lancent même dans une brioche à la crème de marron (type "chinois") : gâtés de la sorte, nous ne rechignons pas sur le travail ! Aurélie, une suissesse à la bonne mine, ne manque pas d'esquisser quelques pas de danse chaque soir avec Chantale. Du monde, une belle énergie, nous préparons sereinement l'hiver.
Les parcelles de terre débarrassées de leurs plantations annuelles ont besoin de repos. Avant que la neige ne recouvre intégralement le sol de son blanc manteau, on passe un coup de tri-socs pour le brasser en surface. De ce fait, il sera plus aisé de travailler la terre en début de saison prochaine.
- Stock de bottes de paille et de foin pour l'hiver -
Depuis notre arrivée, nous entendons parler du gros oeuvre qui nous attend : le tas de compost à monter. Le jour J est arrivé, nous sommes 5 (certains sont partis et Jean-François de Montréal nous a rejoints) et cela va nous prendre une journée complète. Les différentes couches ont été recueillies, il est temps de les empiler et de créer des gigantesques lasagnes. En effet, pour un compostage optimal il est bon d'alterner les matières brunes ou sèches riches en carbone (feuilles mortes, paille, terre...) avec les matières vertes ou humides riches en azote (fruits et légumes, fumier mature...). Nous piétinons scrupuleusement chaque couche et arrosons généreusement le compost d'engrais végétal, fabriqué à base de plantes locales fermentées (type "purin d'ortie"). Pour finir, nous protégeons le tas avec de la paille afin qu'il ne soit pas trop humide et veillons à creuser plusieurs cheminées au centre pour permettre une bonne aération. Bien oxygénés, les micro-organismes vont pouvoir tranquillement décomposés les matières. Le tas va progressivement réduire et laisser place dans plusieurs mois à un compost mûr et riche en humus qui amendera le potager de la saison prochaine.
- Fierté et contentement du travail bien fait -
- Dernières récoltes d'épinard et de bok choy avant les grosses gelées -
Le garage est plein de bûches sèches prêtes à réchauffer la maisonnée en cas d'hiver rude, mais il faut déjà penser à l'hiver suivant. Nous nous rendons donc dans les bois attenants à la ferme. Jonathan, le pro de la tronçonneuse, montre à Yohann comment faire tomber un arbre. Jean-François, un québécois plein de bon sens et d'humour, m'apprend à rendre plus stables les piles de bois grâce aux "boîtes québécoises". Chantale se lance dans la démonstration de fendage de bûches pour inspirer les gestes hésitants de Laura, une belge certes petite mais bien motivée.
- Vous pouvez observer sur la pile de bois "les boîtes" à chaque extrémité : alternance de trois bûches dans un sens, puis dans l'autre -
Début novembre, c'est la période idéale pour planter l'ail. En premier lieu, nous avons trié les caïeux (petits bulbes) en sélectionnant les plus prometteurs. Ensuite, Koka et Kamel nous ont aidés à monter des buttes de terre. Il faut qu'elles soient les plus droites possibles. Nous nous sommes donc entraîner en amont sur un espace qui ne craignait rien. Puis, nous avons déposé du fumier mûr de mouton entre chaque butte. A l'aide de la traction animale et des disques, nous avons rassemblé les buttes deux par deux centralisant ainsi le fumier. Une fois le sommet de la nouvelle butte lissé au râteau, nous avons pu planter les gousses d'ail espacées d'environ 15 cm les unes des autres. Finalement, nous avons abrité les jeunes plantations avec de la paille maintenue par un filet.
- Plantation de l'ail sous les regards attentifs d'Hysope et de Zitoune -
- Merci à Chantale qui m'a donnée l'opportunité de mener les deux ânes -
- Une fondue au fromage pour pimenter notre train-train quotidien -
Félix, un jeune toulousain maître en patatas bravas (carrés de patates frites à la persillade maison légèrement pimentée), a débarqué à la ferme pile poil le jour d'une sortie déconcertante. A quelques maisons de là se situe un refuge pour animaux sauvages blessés tenus par un vieil homme rempli d'amour pour ses bêtes. Nous nous sommes donc retrouvés face à des cougars, des renards, des lynx, des ours obèses, des loups, des wapitis, des biches en cage, certes nourris et logés mais surtout en manque cruel de liberté. Un hurlement à la lune impromptu de la meute de loups nous a tous skotchés à la fin de cette visite déstabilisante. Ce dernier moment a été intense et magique à la fois. C'est le souvenir majeur qui restera gravé dans nos mémoires après cette sortie atypique.
- Nous n'aurions jamais cru porter un jour un raton-laveur dans nos bras, situation improbable ! -
- Arrivée de deux jeunes recrues sous un magnifique soleil : Yoga qui n'a pas froid aux yeux et Napoléon la douceur même -
- Curiosité aiguisée de nos quatre compères -
- Napoléon, le plus petit des quatre ânes -
- Djihâd et Cassonade sont aussi au rendez-vous -
En décembre, la neige s'installe pour de bon. Il faut rentrer tout ce qui ne peut pas résister à la rudesse de l'hiver canadien. Il est temps aussi de finaliser la coupe de bois de chauffage pour l'année prochaine.
- Les chiens grâce à leur épaisse fourrure ne craignent rien -
- Allez suivez-moi, on va au bois ! -
- L'érable se fend nettement mieux que le bouleau noueux -
- Bataille de boules de neige qui termine en lutte gréco-romaine et surtout pause crêpes dans les bois, ô joie ! -
Les Jardins au pas de l'âne, c'est du maraîchage mais aussi de la confection d'onguents pour soulager différents maux (arthrite, eczéma, coupures, sciatique...). Depuis une quinzaine d'années, Chantale se passionne pour les plantes médicinales et confectionne ses propres baumes à base d'huile d'olive et de cire d'abeille. A la ferme, on utilise en quantité le "Muscul'Aide" aux fleurs d'arnica conçu pour les douleurs musculaires. Nous l'avons notamment accompagnée sur les marchés de noël des environs. Sachez qu'en 2017, elle va développer une boutique en ligne !
Les outils aussi sont de sortie quand il s'agit de fabriquer des clôtures, de retaper le plancher de la grange, de consolider des passerelles ou d'imaginer une gouttière...
- Hysope toilette tous les animaux de la ferme. Tous enfin, excepté les chats -
- Après quelques jours d'acclimatation, on place les quatre ânes dans le même enclos -
- Une journée splendide pour se promener dans la poudreuse -
- Et si on faisait du chiens de traîneau ? -
Dans cette ferme on se sent utile aux côtés de Chantale et Jocelyn qui ont fait le choix de trimer dur pour montrer qu'une autre voie est possible. Un combat 7 jours sur 7 avec si peu en retour, si ce n'est le bonheur de faire découvrir la richesse des produits locaux et le vrai goût des légumes sains. Des gens comme eux qui résistent face à un monde qui court à sa perte il y en a j'en suis sûr-e près de chez vous. Dans nos choix du quotidien, nous avons beaucoup plus de pouvoir que nous le pensons. Alors qu'attendons-nous pour soutenir des initiatives plus justes, plus saines et plus respectueuses ?
